(article éminemment partageable sur LinkedIn)
Quel est le problème ?
On vit dans un monde où, d’un côté, on fait des burnouts comme on attrapait la syphilis dans les bordels de Pondichéry – et de l’autre, y’a toujours un connard pour se vanter de travailler nuit et jour et d’aimer ça. Bref, on ne sait pas ni pourquoi ni comment, c’est devenu normal de bosser comme un taré à faire des trucs que personne ne comprend et dont l’utilité est douteuse.
Je ne dis pas que ça ne devrait pas exister, et je ne nie pas l’importance de fournir un effort pour obtenir un résultat, je dis juste que si on se regardait les yeux dans les yeux pour se dire que le travail est un mal nécessaire, peut-être qu’on arriverait à réfléchir collectivement au moyen de rendre cette merde un peu plus acceptable puisque visiblement notre époque vit un second Germinal.
Lundi philosophie : la vie est-elle trop courte pour passer 8 heures par jour avec des cons qu’on n’a pas choisis ? Oui.
J’avais écrit tout un truc sur le temps passé avec Richard du contrôle de gestion, mais entre le temps jadis où j’ai écrit ce post (2017 – ouaich le temps file) et notre époque de guerre en Ukraine et de crise énergétique, le covid est passé par là et tout le monde télétravaille en chaussons Isotoner. Donc next.
Tu as des bonnes notes à l’école, tu as fait des tas de stages « gratifiés » et tu as a été un gros beau gosse en entretien: anatomie de la spirale du succès qui va te mener direct en CDI
Le problème c’est que tu as maté beaucoup trop de TED talks et lu Steve Jobs ton gourou, du coup tu es persuadé que toi aussi tu vas apporter ta brique de génie et disrupter la société avec ton business de boudin au curry digital, donc laisse moi te dire que tu n’es pas bien préparé à la réalité de ton job, qui va probablement consister à faire des tableaux croisés dynamiques pour analyser les dépenses annuelles en toner d’une PME en stagnation. Le pire c’est que tu vas vite découvrir que tu n’es pas vraiment dédommagé à la hauteur de l’ennui intergalactique que t’inspire ton taf. Ah non pardon, le pire c’est affronter en soirée les questions de small talk « tu fais quoi dans la vie » car tu ne peux pas dire que tu fais énormément de rien, tu es obligé de t’en sortir par le fameux “il n’y a pas de journée type”. Sous-titre : je vais me pendre, sortez-moi de là.
Le salariat en CDI justement, est-ce vraiment bien ? Meh.
Quand tu signes ton contrat en CDI, tu es implicitement d’accord pour abandonner une partie de toi
- T’habiller d’une certaine façon
- Parler d’une certaine façon
- Suivre des règles (et crois moi, pas genre pour le bien de la société)
- Suivre des ordres (parfois totalement absurdes)
- Être récompensé quand ton chef pense que tu as été un bon soldat
C’est exactement comme ça que je dresserais mon chien si j’en avais un.
C’est le jeu ma pauvre Lucette ? Sauf que pour Lucette, le jeu est un peu moins marrant en l’occurrence
Soyons clairs, je pense que le travail c’est relou pour les femmes comme pour les hommes (et pour les non binaires et pour les cisgenres et pour les hétéronormés et pour les homosexuels qui vivent à la campagne et aussi pour les noirs et j’espère que j’ai oublié personne) – à la différence près que pour les meufs, c’est non seulement relou, mais également moins bien payé (incl. débat débat débat).
Vendre son temps contre de l’argent ne fait aucun sens (la minute Ricardo, t’es pas prêt wesh)
Si tu possèdes un savoir que tes clients valorisent et pour lequel ils sont prêts à payer, alors le nombre d’heures travaillées pour le produire n’est absolument plus pertinent. Les gars veulent juste la valeur que tu as à leur offrir et s’en tamponnent vénère de savoir combien de temps tu as passé dessus. Ceci est valable pour n’importe quel job, manuel ou “intellectuel” (attention la catégorie “intellectuel” n’est pas à prendre au pied de la lettre puisque je compte là dedans les people qui sont au marketing chez Google et qui sont par définition payés pour vendre un produit en situation de monopole à des gens qui ne peuvent déjà plus s’en passer).
Illustration : tu payes un designer 1000 balles pour faire le logo de ta startup qui disrupte le marché des gels douche (on y reviendra). Est-ce que tu serais OK pour payer 3000 euros si le gars te disait qu’il y a passé 3 fois plus de temps ? Non, car tu t’en tapes. Et si je te disais qu’il y a passé 10 minutes ? Pareil, normalement tu t’en tapes, parce que ton logo est le plus beau et à tes yeux, il vaut bien un SMIC.
Depuis 50 ans on a gagné 400% en productivité (selon mes calculs scientifiques), pourtant on ne travaille pas 4 fois moins… do the maths
Je vais parler de ce que je connais : le métier de consultant (devrait-il disparaître ? c’est une question pour un autre Lundi Philosophie et la réponse est : bien entendu).
Ce noble labeur existait déjà avant l’invention du micro ordinateur, la comparaison est donc aisée (contrairement aux métiers de social media manager ou de reporter de fake news, qui galèrent encore à trouver leur place dans le monde du travail qui se la raconte).
Bref : si on dit que notre taf (à nous les consultants créateurs de valeur) c’était et c’est toujours 1/ mater ce qui va pas dans une boîte, 2/ réfléchir à comment c’est qu’on pourrait faire mieux et 3/ expliquer bien et beau c’est comment qu’ils doivent le faire (mieux, donc), ALORS pour chacune de ces missions, la technologie nous a fait gagner un temps de ouf (attention, cette affirmation se fonde sur l’hypothèse suivante : nous sachons nous servir de l’outil informatique et des Internets).
Pour mater ce qui ne va pas dans une boîte, on peut se déplacer et rencontrer des gens (ce qui est toujours le cas puisqu’il faut bien faire des notes de frais dans des restaurants hors de prix) mais maintenant on a Zoom, des mails et des tas d’outils qui nous permettent de rassembler des données et de les analyser en temps record.
Pour la partie réfléchir (la deuxième, si tu as bien suivi), c’est quand même beaucoup plus simple de pomper des solutions à droite à gauche, merci Google.
Enfin, dès qu’il s’agit de dessiner comment c’est qu’il faut faire, on peut s’en remettre à Powerpoint et je te garantis que ça va bien plus vite que des polycopiés, des stylos billes et des règles millimétrées pour tracer des graphs un peu cheums.
C’est donc en toute logique que nous nous sommes dit collectivement : au lieu de gérer 5 clients par an comme avant, prenons-en plutôt 20 pour péter les boulons à 35 ans et se former à la céramique à 40 – ou pire, monter une startup.
Le travail en startup, ce nouveau Germinal (si)
Une startup c’est quoi ? C’est deux connards de HEC et de l’Essec qui veulent “lever” quelques millions de dollars pour disrupter un truc ou en ubériser un autre sur la base d’un business modèle “scalable”. Des fois ça marche pas mais des fois ils arrivent à convaincre assez de monde (des investisseurs, la banque, leurs potes, leurs mères) et c’est généralement là que la merde commence et que l’Etat s’en mêle sous forme de cadeaux fiscaux et autres primes Pôle Emploi), puisque ça leur donne fissa le droit de recruter une armée de stagiaires interchangeables pour “hacker” un produit de merde sur lequel ils pivoteront 3 ou 4 fois avant de se dire FINALEMENT je préfère bosser à la BNP ou chez Unilever. Je ne sais pas ce qui est le pire: exploiter des gens comme des bâtards avec la caution de la société, faire passer le tout pour de l’innovation, ou payer une attachée de presse pour booker 30 secondes de gloire sur BFM Business.
La seule chose que ces mecs arrivent à disrupter, c’est le code du travail.
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